EN(CORPS) ENVIE
Recueil de poésie
FEU DE JOIE
FEU DE JOIE
Mon corps
meurtri par leurs yeux qui grattent, déshabillent et s’incrustent un peu partout dans ses pores ouverts comme des huîtres face au reste du monde, stoïques et vivantes ; égratigné de tout côté, par leurs gestes couinant, grouillant de leurs désirs comprimés de revanche étincelant d’obscénité et pulvérisé soudain dans ce bref hoquet dirigé contre ma viande, comme un long et lent dégorgement de toute une vie de frustration.
Mon corps
renversé, piétiné, ravagé par les mots suintant, les odeurs féroces qu’ils déversent sur moi comme une marée noire avant de venir fouiner et racler entre mes os, par-delà mes côtes et jusqu’à mes ovaires, pour les donner en pâture aux chiens galeux du coin.
Mon corps, juste à jeter dans les fagots pour allumer un grand vrai feu de joie.
PEUT-ÊTRE
PEUT-ÊTRE
Peut-être que devenir femme, c’est faire le deuil d’aimer.
J’ai aimé un homme d’amour, une fois.
D’amour, un homme tout entier, j’ai aimé.
Un jour, l’amour s’est tu.
Il s’est effiloché puis s’est égaré, ou s’est altéré, je ne sais plus.
Tout d’un coup, le vide a creusé sa tombe
En moi, le vide de toi, le vide de soi,
Le vide d’être, si dense, tout d’un coup,
Dans ce corps frappé par la mort de l’amour de toi.
Progressivement, le vide s’est décousu.
Semblable à une montgolfière,
Il s’est élevé, envolé, puis évaporé.
Mon amour fugitif, ma fugue d’aimer, cet interlude.
LES MOTS
LES MOTS
Les mots sont faits pour voler
Témoigner ou réunir.
Les mots sont des petits lutins
Qui susurrent des messages à l’oreille des humains
Souriant à l’aube de l’espoir.
Parfois sauvages et haineux, souvent doux et rêveurs,
Certains s’enferment dans une prison de silence.
Frénétiquement, ils tournent entre les barrières du mutisme et de la douleur.
Douleur de taire.
Meurtrissure de ne pouvoir accoucher de ces maux.
Toupies hystériques, ils se cognent les uns aux autres
En tourbillonnant de rage et de colère,
De désespoir et d’impuissance dans ce sas aux couleurs abolies.
Les mots ne savent pas se taire.
TERREUR
TERREUR
Terreur.
Dans la nuit noire
Je me lève, brisée
Les os disloqués, agglutinés le long du lit
Comme des reptiles en gestation, avides d’un nouveau départ incertain
Le souffle de l’océan au-dessus de moi où s’élancer, mais dans l’ombre duquel se dresse
Ton visage blême et tranchant.
J’ai peur de croire que croire ne peut être qu’une étoile de plus à tuer dans ce ciel constellé d’abîmes.
La mort m’habite, elle est un temple où j’ai pris le temps de me confesser
Elle est ce voile de chairs qui me donne corps
Elle est un bouclier contre tous ces glaives glacés d’idéaux sans lendemain.
J’ai cessé de regarder l’horizon de manière linéaire
Il est rond, cet éternel recommencement, comme une pierre.
Mes yeux la portent, ils sont d’acier, ils sont rongés par la lumière.
Ils ont le courage de la déverser entre mes côtes, comme un trophée où engloutir la solitude.
Un magma de rêves en ébullition prêts à tout anéantir
Dans cette fosse esseulée où je me suis bâti un empire, une armée.
LA SOLITUDE
LA SOLITUDE
La solitude, c’est un fruit qui n’est pas mûr. C’est acide et suave à la fois, ça s’agrippe à toi comme une plante exotique, qui se tord et s’enroule, extatique, autour de tes rouges entrailles. Un jour, elle s’aventure en toi, elle se nourrit de ta chair avariée, puis tendrement, caresse et berce, infléchit et polit, ton écorce ciselée. Elle devient peu à peu une couverture dans laquelle te lover, perdue dans tes nuits sans été et ces journées lunaires, où même le désir de mourir s’étiole, au point qu’il semble cruellement amer. Elle est cette amie, immortelle, qui peut encore lire, jusqu’au plus profond de tes yeux, noyés parfois dans l’ennui nostalgique que suscite le souvenir naïf de l’existence, telle que tu te la figurais dans ton enfance. Elle est cet autre auquel tu te suspends, amoureusement, par-delà le vide, pour survivre à la folle douleur qui irradie, et peut-être renaître, en accouchant d’elle, de toi et te réveiller femme, à ses côtés.
ELLE
ELLE
Elle a les pieds malicieux
Et des comètes plantées dans les pupilles.
Elle a des boucles qui se torpillent, rouges,
Dans les rafales du sirocco.
Elle est fière.
Elle a des images de terres étrangères tatouées dans la poitrine.
Intrépide, elle parcourt l’épine dorsale de ses rêves incandescents.
Sa soif de vie est insolente.
Traquant cette odeur poivrée de sel et de mystère,
Elle franchit les bouches de l’océan et les frontières, médusée.
Elle arbore la liberté comme un flambeau.
Des grains de lumière jonchent sa peau électrique.
Elle vogue, souveraine, au gré de ses idéaux et de croyances nouvelles.
Pour toujours, elle irradie.